Métadiscours A propos de «Wallada, la dernière andalouse», roman de Sidali Kouidri Filali

 Par Mehdi Souiah

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Département de Sociologie

Université Mohammed Ben Ahmed'-Oran 2

 

 

 

 

 

 

Il y a de ces textes qu’on aurait aimé ne pas lire, non pas parce qu’ils sont mauvais, ce qu’il n’est pas le cas de Wallada, mais parce qu’ils ont cette capacité de mettre fin aux illusions. Ils nous privent d’un confort reçu en héritage, celui de nos convictions. Et c’est justement pour cette raison que ce roman dérange. Il met à nu un épisode de l’histoire, la nôtre de surcroit, celui que la mémoire collective avait réussi à embellir, pour ne pas dire travestir.

Si la mémoire d’un être, cela est bien connu, est sélective, la mémoire collective, elle, tient entre les mains une paire de ciseaux. Elle déroule le film des événements en prenant soin de retirer les séquences qui peuvent nuire à l'image idyllique qu’une nation veut qu’on lui accole. La première des désillusions est relative au roman d’amour unissant Ibn El Walid Ibn Zeydoun et Wallada Bint El Moustakfi.

Ceux qui ont fait l’école Algérienne connaissent très bien Ibn Zeydoun. Un grand poète andalous, qui, épris de Wallada, va marquer la poésie amoureuse tout autant que Qays Ibn el Moulawah ou bien encore Antar Ibn Chaddad. Mais ce qu’on ne nous a pas appris c’est que l’histoire qui sous-tend la célèbre « nouniya », dont nombre d’entre nous apprennent encore un extrait, est loin d’être poétique, belle et sereine. Soit, à travers l’ode d’Ibn Zeydoun nous n’avions que la version de « l’homme » des faits de l’histoire d’amour, une version dans laquelle Bint El Moustakfi, poétesse de génie au sang noble et au rang élevé est réduite à un rôle second, pis encore, à celui de figurant… la muse. On ne nous apprend pas que Wallada a sacrifié son amour pour préserver sa liberté (p.169), qu’Ibn Zeydoun était loin d’être aussi chaste, doux et humble que ses compositions le laissent entendre. Avec « Wallada, la dernière andalouse » il nous est possible de lire la version de la « femme ». Quand bien même cette version des faits, imaginée en partie par Kouidri Filali, ne rétablit pas la vérité, elle accorde de la place au recoupement, au doute, à la critique, ceux-là mêmes qui permettent qu’on s’en approche. Dans ce sens, la démarche de l’auteur est risquée, par rapport aux sources sur lesquelles il s’est appuyé pour restituer les évènements, chroniqueurs hommes pour la plupart ; audacieuse parce qu’il a rendu sa voix à Wallada, réduite au silence dix siècles durant.

La deuxième désillusion c’est celle de se rendre compte que l’ère andalouse n’était pas ce long fleuve tranquille qu’on a toujours cru connaitre. Les évènements du roman se déroulent, près de cinq siècles avant la chute de Grenade, dans une Andalousie éclatée socialement, morcelée physiquement, marquée par des guerres fratricides et une rivalité des « cultures » des plus meurtrières. Une Andalousie à feu et à sang que l’auteur fait décrire par Wallada comme une « terre aux mille malheurs [qui] était aussi la terre aux milles bonheurs, et dans ses entrailles des amours infinis et des plaisirs ineffables » (p.251).

Le point fort de ce roman historique, qui prend par endroits des allures de thriller politique relatant la reconfiguration de l’Andalousie au XIe, serait le ton qu’utilise l’auteur. Les actes, les décisions, les choix des uns et des autres sont décrits avec une neutralité choisie. Cette conscience de Kouidri Filali qu’idéaliser un personnage, ou au contraire en diaboliser un autre, ne serait d’aucun appui au message que son texte renferme, celui de considérer que les hommes ont ceci de particulier, d’être un alliage de vices et de vertus. Ainsi on apprend dans ce roman que « la politique c’est l’art d’affaiblir l’autre quand on est incertain de sa propre force » (p.65), que la « ruse [y] est légitime » (p.111), que rien n’est plus terrible que la revanche d’une femme blessée dans son amour propre. On apprend également que l’autodafé des textes d’Ibn Rochd n’était pas une première dans l’histoire de l’Andalousie, mais qu’il y a bel et bien eu d’autres faits similaires. Ibn Hazm, auteur du « collier de la colombe » qui a daigné tout au long de son existence braver les théologiens et imams de l’époque, qu’il considérait comme marchands de la religion, en faisant de la liberté l’essence de la religion (p.42), a lui aussi eu la tristesse d’assister au spectacle de sa bibliothèque qui s’envole en fumée (p.162).   

Simple, limpide, le style utilisé sied tout à fait au genre littéraire adopté par l’auteur, avec des personnages évoluant chacun de son côté et qui se rejoignent peu à peu, empêchant le lecteur de perdre le fil des évènements, cela fait de Wallada un assez bon roman historique. La manière avec laquelle Kouidri Filali parvient à manier l’art romanesque indique que le prochain opus de la saga promet d’être une bombe.

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