Amina Mekhali : l’électrochoc subjectif

 

Par Adnan MOURI 

Chercheur chroniqueur

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Rendre hommage  à  l’écrivaine  Amina Mekhali  impose  d’esquisser quelques lignes sur  la  mobilité  productrice de  l’auteure . Au-delà de nos  échanges fructueux, l’analyse  philosophique se densifie et  tresse   l’énonciation de  l’inconscient comme science imprédicative.

 De  nos  jours, la péopolisation   de  l’écriture  amène  le schéma fluidique de  l’écriture à  la dérive  de  la  pensée  gadgétisée ; la  mise en pratique de  l’analyse  romanesque d ‘Amina Mekhali  était le  cadre qui se  servait  de  lentilles  théoriques  pour  faire advenir un agir émancipationnel.

Comme  le déroulement  narratif  se fait  jour   dans  le tissage  de l’imaginaire social, la discussion  avec Amina permettait le resserrage des  boucles jusqu’à  l’écheveau.  Chez   l’écrivaine Amina, ‘l’écriture  ne se  fige  pas dans le contournement de  la psyché humaine vers l’inconscient collectif qui devient une   formule  à la  mode chez bon  nombre d’écrivains. 

Dans  le  mouvement incessant des questionnements, notre conversation tournait autour de L'inconscient collectif de Jung qui est une construction de sa part pour résister et rejeter le vide causé par la subversion du corps par le symbolique, c'est à dire le langage, qui n'est pas à confondre avec les langues.

 Jung est un tenant fanatique de l'ontologie il  a mis sa théorie à la disposition de l'idéologie nazie.  Ce n'est pas parce qu'un symptôme peut se  trouver chez plusieurs personnes différentes qu'il perd  de sa singularité. Malgré les similitudes, un symptôme subjectif garde toujours sa spécificité.

En  guise d’hommage, il serait  judicieux de faire une lecture  sur son recueil intitulé « les éléphants ne meurent pas d'oubli ».

  Etre amoureux : l’obscurité jouissive

 « Aimer  à  perdre la raison » Louis Aragon par  Jean Ferrat

Amina Mekhali  écrivaine prolifique, à travers  son recueil  de nouvelles intitulé «  les éléphants ne meurent pas d’oubli », l’auteure nous pousse à réfléchir sur le sentiment amoureux  dans un milieu contraint.

La parole est un acte impérieux, une fonction jubilatoire qui  permet  au sujet  de matérialiser  sa présence  dans  la société.  Le joli caractère de conscientisation  qui  accompagne le degré de socialisation  se compare  aux bracelets d’argent et d’ivoire sculptés par un imaginaire social.

Mais point  n’est besoin d’exciter les parfums acre et apaisant de la flamme de la parole libre  qui se laisse noyer dans « les routines d’obéissance ».

  Le grognement atavique glapit de fureur, et le chemin subjectif  peine à s'ouvrir malgré le jaillissement des cris de révolte; la torsion des cordes vocales se fige dans les abîmes d'une « grammaire amorphe » tout en valorisant le bruissant murmure de l'interdit.

Le sujet parlant devient un genre d'oiseaux qui dans l'obscurité hulule laissant entrevoir  la bouche béante de la pathologie sociale.

Les yeux rivés sur la résignation et les gorges nouées cherchent à rejoindre les arcanes de l’incommunicabilité.

Les flammes du culte du silence cravachent la dimension du « je » en tant que « parcelle d'autonomie  et d'originalité » faisant galoper la courbe très douce de l'inconscient qui fait que le sujet est parlé plutôt qu'il ne parle pour reprendre Lacan.

En effet, même si l'obscure violence symbolique est présente, elle fait annihiler la langue du désir ; une mèche de cheveux subjective huilée par la castration des sens tremble comme sous l'effet d'une caresse dans le contexte algérien.

L’interdit de penser embrume les aubes des paroles créatrices de sens, la falaise tourmentée par la clôture identitaire rend l'air irrespirable et aussi sombre qu’une nuée, mais le recours à l’écriture vient sécher la maudite fuite qui détruit l'édifice social.

Partant du principe  que l’écriture   étant notre propre névrose au-delà  du cathartique, cette  merveille  permet de caresser avec ferveur le non-dit dans une jouissance qui noie les maux dans les mots.

L'ardeur fait rouler le souffle du désir en endiguant la pelote  du malheur  du citoyen dé subjectivé qui se libère à travers les différentes lectures de romans et en l'occurrence celui de Amina Mekahli, « les éléphants ne meurent pas d'oubli ».

Devant cette déliaison sociale associée à la logique de l'interdit qui a flétri le sentiment amoureux et terni l'image de la femme dans ce milieu fermé, nous pouvons dire que la contrainte de l'abîme est aussi tenace que l’ombre du désert.

Outre la chair meurtrie par la violence physique, le ton grave du sujet parlé par  l’instance surmoïque se fait sentir chez l'écrivaine Amina .Pour corroborer notre point de vue, nous allons citer quelques passages ou mots qui nous paraissent importants quant à l'asservissement de l'imaginaire.

Dans  ce recueil  composé de sept  nouvelles nous allons nous arrêter sur la première, les éléphants ne meurent pas d’oubli. Cette dernière exprime les effets ravageurs de la « socialité anomique « « tu as de belles mains, de très belles mains  Jaime les regarder .... Pas ici, nous sommes pratiquement dans la rue ». Cette description démontre les métastases de l'interdit enfoui dans l'inconscient ainsi que le bâillonnement de libertés individuelles favorisant le tabou corporel.

Le lien social en Algérie porte en lui les stigmates de la désorganisation sociale ; sous la gorge de la coercition, la dimension morbide  du musellement de subjectivité favorise en soi  la destruction  de « l’autre » par l’effet  de la servitude à « l’impuissancialisme ».

Au-delà de la pluralité des fléaux qui délitent le lien social, le facteur de l'incommunicabilité  se situe « dans la dialectique de la domination traditionnelle »et de la défense d'une parole libre exempte de domination .Cette inertie comportementale d'une société entrouverte favorise en soi un surmoi collectif qui demeure continuellement aux aguets.

Survolant  la deuxième nouvelle intitulée, les fantômes de la 504 blanche, celle-ci traite  la question du couple : des parents qui rétorquent à leurs fils   « tu veux épouser cette Kahina ?alors tu la ramènes ici, sa mère doit venir également …. Inutile d’essayer de discuter ». En scrutant l’attaque du « baryton sismique des catastrophes orales », le visage angélique de la '' « reliance » est dominé par la sanctification de l’abîme.

 La conception onirique du couple s’éveille sous le joug de la tyrannie parentale puisque le refoulement de l’origine ne saurait estomper le souvenir de l’interdit dans son ensemble.

Le raisonnement boiteux de l’autorité parentale constitue le plus grand despotisme et cette forme d’infantilisation entraine une attitude de mépris quand on  qualifie les adultes d’enfants immatures qu’il faut surveiller en permanence, encadrer et gérer.

 Cette forme d’indigence nous rappelle le philosophe Sartre  et sa citation « Au-delà de ce que je suis de par l’hérédité et de ce qu’ on a fait de moi par le milieu et l’éducation, il y a ce que je fais avec ce que je suis et ce  qu’ on a fait de moi », alors comment peut-on prétendre aborder la nature du couple dans une structure sociale où la liberté est synonyme d’un périple semé d’embûches en raison des contradictions voire des paradoxes que génèrent cette éducation pathologique.

Dans ce sillage, nous mettons en exergue  la cinquième  nouvelle  «  la confrérie des contrebandiers » elle raconte la vie  d’un  « un homme qui  est traité  de fou parce qu’ il ose parler  d’amour. Et enfin  la dernière nouvelle, « le sablier s’est vidé pour rien », elle  parle de « tous les hommes amoureux qui sont  ensorcelés, car  un homme ça n’aime pas » cette  conception mortifère démontre  les coups implacables remplis de musellement de subjectivité ; à l’individu en proie à l’irrationnelle impétuosité du désir de l’interdit, succède l’aliénation qui ne voit en la femme qu’un objet sexuel quand on doit subir la frustration sexuelle.

Aimer serait plus difficile pour les hommes ? Le psychanalyste Miller  dira : «   Oh oui ! Même un homme amoureux à des retours d’orgueil, des sursauts d’agressivité contre l’objet de son amour, parce que cet amour le met dans la position d’incomplétude, de dépendance. C’est pourquoi il peut désirer des femmes qu’il n’aime pas, afin de retrouver la position virile qu’il met en suspens lorsqu’il aime ». Ce principe, Freud l’a appelé le « ravalement de la vie amoureuse » chez l’homme : la scission de l’amour et du désir sexuel. »

Prenons le cas de l’union conjugale qui reste soumise à la volonté parentale de près ou de loin, notamment chez la mère qui joue une fonction pathologique ; n’en déplaise au combat féministe qui se complaît dans l’inhibition. Cet aspect mortifère méconnait les fêlures de la subjectivité faisant valoir le triomphe du combat de la femme potiche car l’élixir du charlatanisme a été intériorisé à bien des égards.

Il suffit de se pencher sur l’éducation surmoïque pour décrypter le rapport mère /fille et mère /fils, qui  retrace naturellement une précarité psychique qui se ravale dans le complexe œdipien.

Sur cet aspect, les tenants de la normalité névrotique qui appuient dans  leurs discours la fonction surmoïque étalent à grand frais leurs pathologies ordonnant plusieurs types de châtiments corporels pour condamner chaque  femme souhaitant exprimer tout simplement son individualité.

Après avoir  fait  un survol sur le  recueil   de nouvelles  ,on peut s’interroger  sur nos certitudes en matière d’amour, cet  aspect peut  se dissoudre  dans les  méandres  de l’amur . Autrement  dit   aimer  c’est donner ce qu’on n’a pas ». L’approche  lacanienne a mis en  relief  une première instance « l’imaginaire, il laisse tout ce qui est de l’ordre des représentations – représentations qui concernent l’image de soi d’une part (c’est ce que Lacan a déjà défriché dès cette époque avec son « stade du miroir ») et l’image de l’autre d’autre part. »

 La deuxième caractéristique  c’est «  le symbolique, quant à lui, ce sera tout ce qui concerne la parole, la parole conçue comme ce qui tout à la fois fonde la subjectivité et assure la médiation à l’autre. La parole, c’est ce qui permet d’abord de nous unir à l’autre. »

 Et  enfin  le dernier  registre le Réel, « la place que lui donne Lacan ne cessera pas d’évoluer. Disons que, à ces débuts, il est à distinguer de la réalité. Le réel n’est jamais donné immédiatement, il ne se définit que par rapport aux deux premières instances : il se trouve comme expulsé de la réalité par le symbolique, en tant que ce qui, de cette réalité, n’est jamais complètement symbolisable. » Pour  paraphraser Lacan aimer est  la symbolisation de  l’autre comme présence et comme absence.

Cet aspect nous montre qu’Aimer l’autre, « c’est lui donner son manque en espérant qu’il saura en prendre soin et qu’il nous donnera envie d’en faire un espace de création permanente ».

Ceci dit pour revenir au recueil  d’Amina Mekhali, elle décrit avec élégance l’amour tabou qui se voit fléchir  refoulant tout désir sexuel. Devant ce fantasme, la nappe bien lisse de la phallocratie prend le dessus sur  l’altérité du couple  et de ce fait la périlleuse gymnastique qui détermine cette intoxication de dépendance   s’exprime  dans le refus  de couper  le cordon ombilical. Sur cet aspect  nous pouvons dire que l’homme/  femme  algérien entretient de façon symbolique des relations incestueuses avec  leur mère.

Devant la judicieuse approche psychanalytique  qui dépasse largement  notre propos  vu la complexité  qu'elle recèle dans son sein,  nous  dirons  que pour se départir  de cet  état  de ""servitude  volontaire'' à la fois consciente  et inconsciente , nous pouvons opposer  comme le souligne le psychanalyste Bernard Sigg aux pratiques monolithiques l'alternative  d'une pensée autonome  vivante  et  multiple qui  favorise l'altérité  .

 La mise en exergue  de cette singularité agissante va  nous permettre de paraphraser le psychanalyste Lacan pour dire  qu'il n’y aura pas de ''rapport sexuel.

 Autrement  dit ce psychanalyste  nous fait savoir  que dans la sexualité en réalité  chacun est en grande partie  dans sa propre affaire …Il expliquera en disant  qu'il existe  « la médiation  du corps de l'autre , mais enfin de compte  la jouissance  sera toujours votre jouissance. Le  sexuel  ne conjoint pas » est ce que c’est le sujet parlant « l’inconscient comme trou « assure la continuité entre vérité et mensonge  pour reprendre le mentir vrai  titre d’un ouvrage d’Aragon ».

Dans   cette optique, la sexologie  comme science prédicative  couplée  à  la « modernité  liquide » appauvrit la sexualité humaine en la considérant comme « une fonction qui rappelle le rapport entre une clé et la serrure à laquelle elle est censée être adaptée ». D’ailleurs comme  le soulignent bon nombre d’analyste , dès que des symptômes  sexuels mettent en échec son savoir réducteur et technique, qu’il soit constitué par des solutions chimiothérapiques, ou par des conduites comportementales, faisant appel au conditionnement « animalier » de type vétérinaire, elle recourt, toujours pour dénier et refuser l’inconscient, «  aux procédés hypnotiques et suggestifs, qui consolident la méconnaissance de la surdétermination du symbolique et renforcent l’obscurantisme en « jetant un voile », bien épais sur la sexualité »

Enfin, je tombe amoureux  comme je tombe d’une chaise,  voilà ce qu’Alfred de Musset  dans son enseignement à travers   son recueil,  « on ne badine pas avec l’amour », nous apprend ; il  nous  aide à   nous questionner sur l’amour en tant que chute originelle.

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